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Pour être heureux, faut-il fuir l’ennui ?

carolinemairand8

Dernière mise à jour : 11 févr.



Au festival des tombées de la nuit, début juillet 2024 à Rennes, Nicolas Heredia proposait un spectacle intitulé « la fondation du rien », sous-titré "riche programme d’activités annulées". Avant son spectacle, l’artiste et sa troupe vous invitaient à vous inscrire à une activité au sein d'une liste très attrayante. La date approchant, vous receviez un mail vous informant que l’activité était annulée, vous laissant jouir de ce moment de liberté. À l’heure où les concepts d’efficacité et performances sont légion, dans notre travail comme dans nos activités extra-professionnelles, que penser d’un enfant qui s’ennuie, de 30 à 45 minutes de battement ? De quoi une société qui ne s’ennuyait plus se priverait-elle ? À la veille des vacances d’une grande majorité des Français, faites-vous partie de ceux qui ont programmé chaque seconde, ou au contraire, prévoyez-vous des temps de farniente faisant la part belle à l’ennui ?

 

1- Les rouages de l’ennui dans le cerveau

De même que les cellules du cerveau ont besoin de sommeil pour se régénérer, l’ennui apporte lui aussi ses bienfaits, notamment sur le plan de la mémorisation. À cette occasion, le cerveau fait le point, nous explique Thomas Baumgartner, journaliste et auteur de l’art de ne rien faire. Suivant des observations scientifiques, « Quand on ne fait rien de précis, c’est un ensemble de zones réparties dans les lobes frontal et pariétal qui est le plus actif. C’est le réseau par défaut » précise Jean-Philippe Lachaux, chercheur à L’INSERM.

Durant ce temps de repos de notre unité centrale, chacun de nous, enfant comme adulte, se remet en lien avec son monde intérieur. Nous tentons de trouver quelle voie nos envies et nos goûts souhaitent emprunter. C’est ainsi que la place est faite à la rêverie, à l’imaginaire, acteurs indispensables de notre créativité.

 

2- Et si l’enfant grandissait mieux grâce à l’ennui ?

Si l’on observe un bébé qui s’occupe seul, on peut le voir explorer ses mains, attraper ses pieds, détailler ce qui l’entoure, tester sa voix, bouger pour changer de point de vue. C’est le stade de la vie où l’ennui est perçu comme l’opportunité de tous les possibles. Ken Robinson, expert en éducation, souligne que les personnes les plus créatives au monde sont les enfants de moins de 5 ans. D’après certaines études, 98% des enfants de 5 ans sont des génies en matière de pensées divergentes (idées nouvelles).

Laissé seul et désœuvré, un enfant se découvre. Soumis à son propre rythme, non seulement il recharge les batteries, mais en plus, il apprend qui il est et va naturellement vers ce qu’il aime. C’est ainsi qu’il teste et découvre ses appétences pour telle ou telle activité. Des liens se créent entre son imaginaire et le réel à disposition pour développer sa créativité.

Prenant ses propres décisions et faisant ses propres choix, l’enfant apprend aussi l’autonomie dans ce jeu libre qui le libère de l’ennui. De surcroît, il se débrouille sans l’aide des autres puisque tout cela, il l’effectue seul. Or, apprivoiser la solitude dès le plus jeune âge lui sera très utile pour sa vie future.

 

 

3- L’ennui chez les adultes

Lorsqu’on parle d’ennui dans le monde des adultes, il est important de distinguer la sphère personnelle de l’univers professionnel, l’ennui sans cadre de l’ennui subi. Le premier est vertueux quand le second est toxique.

Le Bore-out ou l’ennui-prison

Le bore-out est véritablement l’ennui au travail. Il toucherait près de 30 % des salariés français, secteurs public et privé confondus. Ce qui le rend toxique et destructeur pour un salarié est bel et bien la dissonance cognitive entre fiction (statut d’employé) et réalité (inactivité effective). Le cadre de travail dans lequel ledit salarié ne peut plus s’occuper suffisamment, mais dans lequel il est tenu de rester devient comme une prison psychologique. La situation contribue à un effondrement intérieur, complètement à l’inverse de l’ennui vécu sans contraintes.

Quand l’ennui ouvre les possibles

Une expérience menée par deux chercheuses en psychologie, Sandi Mann et Rebekah Cadman a démontré que plus les activités que l’on pratique sont passives et ennuyeuses (vider un lave-vaisselle, poncer une table en bois…), plus elles sont stimulantes pour la créativité. Pendant ces « activités automatiques », nous repensons à des situations, effectuons des liens, élaborons de nouvelles hypothèses. Ceci n’aurait pas lieu si notre esprit était constamment occupé. « Le paresseux élargit l’écran de son imaginaire », écrit Thomas Baumgartner dans son ouvrage. Le mécanisme est le même que celui de l’enfant.

Vers un art de vivre…

Plus concrètement, Robert Louis Stevenson, l’écrivain aventurier, dans l’apologie des oisifs, en 1877, souligne la richesse de l’année sabbatique des étudiants pour accéder à un savoir non normé. Plus tard, en 1932, le philosophe britannique Bertrand Russell dans Éloge de l’oisiveté milite pour « un monde où l’on ne travaillerait pas plus de 4 heures par jour ». Outre l’ennui et la créativité qui en découleraient, selon lui, « le bonheur et la joie prendraient la place de la fatigue nerveuse. Les hommes et les femmes deviendraient plus enclins à la bienveillance et le goût de la guerre disparaîtrait. » À méditer pendant un moment d’ennui…

 

En un mot…

Si l’ennui peut parfois paraître vertigineux, il n’en est pas moins vertueux tant il développe de capacités et tant il nous révèle à nous-mêmes. Pour qui accepte de se livrer pleinement à l’expérience, outre un accès à notre for intérieur, l’ennui livre des trésors insoupçonnés. Les apprentissages qu’il apporte aux enfants ne sont plus à démontrer. Ce constat, enrichi de la réflexion menée par la science et la philosophie ou du témoignage de créatifs ne pourra que mieux nous aiguiller, pour nous comme pour nos enfants, lorsque, à la rentrée prochaine, nous choisirons de (trop) nombreuses activités… enfin, adolescents, étudiants ou adultes, pour libérer de l’espace mental, commençons déjà par "planter notre smartphone dans les plantes près de l’entrée" comme le propose Thomas Baumgartner… laissons reposer… et voyons ce qui émerge. Belles vacances à tous !

 
 
 

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